FATUMA et consorts (MICT-18-116-A)

Appel

Le 25 juin 2021, le Juge unique Vagn Joensen a rendu son jugement dans l’affaire Le Procureur c. Anselme Nzabonimpa et consorts. Le 29 juin 2022, la Chambre d’appel a, à l’unanimité, rejeté l’appel de Marie Rose Fatuma et a, à l’unanimité, accueilli dans son intégralité l’appel de l’Accusation.

MARIE ROSE FATUMA

Marie Rose Fatuma est la veuve du demi-frère d’Augustin Ngirabatware, Édouard Byukusenge, également connu sous le nom de « Cenge ».

DICK PRUDENCE MUNYESHULI

Dick Prudence Munyeshuli a été enquêteur de la Défense pour un certain nombre d’affaires devant le TPIR et le Mécanisme. D’août 2015 environ et jusqu’à janvier 2018, il a été enquêteur pour l’équipe de la Défense d’Augustin Ngirabatware.

AUGUSTIN NGIRABATWARE

En juillet 1990, Augustin Ngirabatware a été nommé Ministre du plan, poste qu’il occupait au sein du Gouvernement intérimaire du Rwanda en avril 1994. Il a également été membre du comité préfectoral du Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (le « MRND »), dans la préfecture de Gisenyi, du comité national de ce même parti et de la commission technique de la commune de Nyamyumba.


JEAN DE DIEU NDAGIJIMANA

Jean de Dieu Ndagijimana était, avant la mi 1994, enseignant et directeur d’établissement scolaire dans la région de Gisenyi, notamment dans les écoles de Kiloji et de Bwitereke.

ANSELME NZABONIMPA

Avant la mi-1994, Anselme Nzabonimpa était bourgmestre de la commune de Kayove, préfecture de Gisenyi (Rwanda).

 

Actes d’accusation

Première version publique expurgée de l’Acte d’accusation établi contre Maximilien Turinabo, Anselme Nzabonimpa, Jean de Dieu Ndagijimana, Marie Rose Fatuma et Dick Prudence Munyeshuli déposée le 5 septembre 2018 (Acte d’accusation Turinabo et consorts) et Acte d’accusation modifié déposé le 21 octobre 2019.

Version publique de l’Acte d’accusation établi contre Augustin Ngirabatware déposée le 10 octobre 2019 (Acte d’accusation Ngirabatware).

Jonction des instances introduites dans l’affaire concernant Maximilien Turinabo et ses coaccusés (Anselme Nzabonimpa, Jean de Dieu Ndagijimana, Marie Rose Fatuma et Dick Prudence Munyeshuli), le 10 décembre 2019, et dans l’affaire concernant Augustin Ngirabatware, sur le fondement des actes d’accusation établis dans les affaires Turinabo et consorts et Ngirabatware.

Troisième Acte d’accusation modifié révisé établi contre Anselme Nzabonimpa et ses coaccusés (Jean de Dieu Ndagijimana, Marie Rose Fatuma et Dick Prudence Munyeshuli) (Acte d’accusation Nzabonimpa et consorts) déposé le 12 mai 2021, afin de rendre compte du fait que Maximilien Turinabo n’est plus un accusé en l’espèce en raison de son décès survenu le 18 avril 2021.

Juge unique du Mécanisme

M. le Juge Vagn Joensen

Comparution initiale devant le Mécanisme

Maximilien Turinabo, Anselme Nzabonimpa, Jean de Dieu Ndagijimana, Marie Rose Fatuma et Dick Prudence Munyeshuli ont comparu devant le Mécanisme le 13 septembre 2018.

Augustin Ngirabatware a comparu devant le Mécanisme le 17 octobre 2019.

Jugement rendu par le Mécanisme

Prononcé le 25 juin 2021 et déposé par écrit le 20 septembre 2021.

Le juge unique a déclaré Augustin Ngirabatware, Anselme Nzabonimpa, Jean de Dieu Ndagijimana et Marie Rose Fatuma coupables d’outrage au Mécanisme pour pressions exercées sur des témoins. Le juge unique a également reconnu Augustin Ngirabatware coupable d’outrage pour avoir violé des ordonnances judiciaires, et déclaré Dick Prudence Munyeshuli, un coaccusé, non coupable de la seule allégation d’outrage retenue à son encontre, à savoir violation d’ordonnances judiciaires. Le juge unique a condamné Augustin Ngirabatware à une peine de deux ans d’emprisonnement. Anselme Nzabonimpa, Jean de Dieu Ndagijimana et Marie Rose Fatuma ont été condamnés à une peine de prison d’une durée égale à celle déjà passée en détention préventive, soit plus de 11 mois.

Chambre d’appel du Mécanisme

M. le Juge Carmel Agius, Président

M. le Juge Alphons Orie

M. le Juge Seymour Panton

Stade de la procédure

Mise en état en appel.

PROCÉDURE DEVANT LE MÉCANISME

PROCÉDURE D’APPEL (TERMINÉE)

Après le prononcé du Jugement, le 27 septembre 2021, à la suite d’une requête conjointe de la Défense aux fins de prorogation de délai pour déposer les actes d’appel et mémoires d’appel, le Président du Mécanisme, le Juge Carmel Agius, a désigné un collège de trois juges de la Chambre d’appel dans la présente affaire et s’est désigné lui-même juge de la mise en état en appel. Le 28 septembre 2021, le juge de la mise en état en appel a fait droit à la requête conjointe de la Défense aux fins de prorogation de délai, ordonnant que les actes d’appel soient déposés le 18 octobre 2021 au plus tard et les mémoires d’appel le 17 novembre 2021 au plus tard.

Le 18 octobre 2021, Marie Rose Fatuma a déposé une notification d’appel contre la peine et la condamnation prononcées à son encontre, et l’Accusation a fait appel de l’acquittement prononcé en faveur de Dick Prudence Munyeshuli et de la peine imposée à Augustin Ngirabatware. Le 16 novembre 2021, la Chambre d’appel a rejeté la requête par laquelle Dick Prudence Munyeshuli priait la Chambre d’appel de rejeter l’acte d’appel déposé par l’Accusation contre son acquittement. Dick Prudence Munyeshuli, Augustin Ngirabatware et l’Accusation ont déposé leurs mémoires en réponse respectifs le 8 décembre 2021, et Dick Prudence Munyeshuli a de nouveau déposé son mémoire en réponse le 17 décembre 2021. L’Accusation et Marie Rose Fatuma ayant déposé leurs mémoires en réplique respectifs le 16 décembre 2021, la phase de dépôt des mémoires en appel a été clôturée.

La Chambre d’appel a prononcé son arrêt le 29 juin 2022. Elle a, à l’unanimité, rejeté l’appel interjeté par Marie Rose Fatuma, a infirmé d’office la peine d’emprisonnement correspondant au temps déjà passé en détention prononcée contre elle par le juge unique et l’a condamnée à une peine de 11 mois d’emprisonnement. Elle a également déclaré que Marie Rose Fatuma avait purgé sa peine, le temps qu’elle avait passé en détention sous la garde du Mécanisme en attendant son procès étant déduit de la durée totale de la peine.

En outre, la Chambre d’appel a, à l’unanimité, accueilli dans son intégralité l’appel interjeté par l’Accusation. Elle a infirmé l’acquittement de Dick Prudence Munyeshuli, l’a déclaré coupable, en vertu de l’article 1 4) a) du Statut du Mécanisme et de l’article 90 A) ii) et iii) du Règlement de procédure et de preuve du Mécanisme, et a prononcé une déclaration de culpabilité contre lui pour outrage, pour avoir délibérément et sciemment entravé le cours de la justice. Elle a condamné Dick Prudence Munyeshuli à une peine de cinq mois d’emprisonnement, déclarant qu’il avait purgé sa peine, le temps qu’il avait passé en détention sous la garde du Mécanisme en attendant son procès étant déduit de la durée totale de la peine. 

Enfin, la Chambre d’appel a conclu que le juge unique avait commis une erreur de droit en ordonnant que la peine d’emprisonnement de deux ans infligée à Augustin Ngirabatware pour outrage soit confondue avec celle que celui-ci est déjà en train d’exécuter sur la base des déclarations de culpabilité prononcées contre lui pour génocide et incitation directe et publique à commettre le génocide. La Chambre d'appel, le Juge Orie étant en désaccord, a infirmé la peine de deux ans d’emprisonnement infligée à Augustin Ngirabatware, qui devait être confondue avec celle qu’il purgeait déjà, et l’a condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement devant être purgée de manière consécutive à la peine de 30 ans qu’il est déjà en train d’exécuter.

PROCÉDURE EN PREMIÈRE INSTANCE (TERMINÉE)

Chacun des six accusés a plaidé non coupable des accusations respectives retenues contre lui. Le 10 décembre 2019, le Juge Vagn Joensen a rendu une décision par laquelle il a ordonné la jonction des affaires d’outrage Turinabo et consorts et Ngirabatware sur le fondement des deux actes d’accusation séparés.

La conférence préalable au procès s’est tenue le 21 octobre 2020 et le procès conjoint s’est ouvert le 22 octobre 2020 avec la déclaration liminaire de l’Accusation. Les équipes de la Défense de Dick Prudence Munyeshuli et d’Augustin Ngirabatware ont choisi de présenter des déclarations liminaires, et Maximilien Turinabo a également fait une déclaration conformément à l’article 101 du Règlement de procédure et de preuve du Mécanisme. Neuf témoins à charge ont déposé entre le 26 octobre et le 24 novembre 2020 et les témoignages écrits de cinq autres témoins à charge ont été admis. La phase de présentation des éléments de preuve de l’Accusation a pris fin le 2 mars 2021, alors que près de 1 800 pièces avaient été admises à ce stade de la procédure.

Les arguments oraux présentés par la Défense en faveur d’une décision d’acquittement ont été entendus les 8 et 9 mars 2021, et le Juge unique Vagn Joensen a, par une décision orale rendue le 12 mars 2021, rejeté les requêtes présentées par la Défense au titre de l’article 121 du Règlement de procédure et de preuve du Mécanisme. La conférence préalable à la présentation des moyens de la Défense s’est tenue le même jour. La Défense a débuté la présentation de ses moyens le 15 mars 2021 par la déclaration liminaire de l’équipe de la Défense de Jean de Dieu Ndagijimana, suivie de celle de Maximilien Turinabo puis de Marie Rose Fatuma, au début de la présentation de leurs moyens respectifs. Les dépositions de quatre témoins à décharge ainsi que de Jean de Dieu Ndagijimana et Dick Prudence Munyeshuli ont été entendues entre le 15 mars et le 9 avril 2021. La présentation des moyens de preuve de la Défense a été clôturée le 6 mai 2021 à la suite de l’admission d’éléments de preuve écrits, présentés notamment par 31 témoins à décharge et un témoin expert. L’acte d’accusation en vigueur a été de nouveau modifié le 12 mai 2021 afin de rendre compte du fait que Maximilien Turinabo n’est plus un accusé en l’espèce en raison de son décès survenu le 18 avril 2021.

Les mémoires en clôture des parties ont été déposés le 31 mai 2021 et le réquisitoire et les plaidoiries ont été présentés les 21, 22 et 23 juin 2021. Le jugement a été prononcé le 25 juin 2021, et les motifs ont été présentés par écrit le 20 septembre 2021. Le juge unique a déclaré Augustin Ngirabatware, Anselme Nzabonimpa, Jean de Dieu Ndagijimana et Marie Rose Fatuma coupables d’outrage au Mécanisme pour pressions exercées sur des témoins. Il a également reconnu Augustin Ngirabatware coupable d’outrage pour avoir violé des ordonnances judiciaires, et déclaré Dick Prudence Munyeshuli non coupable de la seule allégation d’outrage retenue à son encontre, à savoir violation d’ordonnances judiciaires. Le juge unique a condamné Augustin Ngirabatware à une peine de deux ans d’emprisonnement, laquelle sera confondue avec celle qu’il purge actuellement sur la base des déclarations de culpabilité prononcées contre lui pour génocide et incitation directe et publique à commettre le génocide. Anselme Nzabonimpa, Jean de Dieu Ndagijimana et Marie Rose Fatuma ont été condamnés à une peine de prison d’une durée égale à celle déjà passée en détention préventive, soit plus de 11 mois.

ACTES D’ACCUSATION

ACTE D’ACCUSATION NZABONIMPA, NDAGIJIMANA, FATUMA ET MUNYESHULI

L’acte d’accusation initial, qui faisait figurer également Maximilien Turinabo parmi les accusés (Acte d’accusation Turinabo et consorts), a été confirmé par le Juge Seon Ki Park le 24 août 2018. Le 17 octobre 2019, le Juge Vagn Joensen a fait droit à la demande présentée par l’Accusation aux fins de modifier l’acte d’accusation établi dans l’affaire Turinabo et consorts, et la version modifiée a été déposée le 21 octobre 2019. Le 12 mai 2021, à la suite de l’ordonnance rendue par le juge unique le 7 mai 2021, l’Accusation a déposé le Troisième Acte d’accusation modifié révisé (« Acte d’accusation Nzabonimpa et consorts »), dans lequel il apparaît que Maximilien Turinabo n’est plus un accusé en l’espèce.

Les accusations formulées contre Anselme Nzabonimpa, Jean de Dieu Ndagijimana, Marie Rose Fatuma et Dick Prudence Munyeshuli dans l’Acte d’accusation Nzabonimpa et consorts visent notamment les crimes suivants :

Chef 1 - Outrage au TPIR et au Mécanisme

  • Anselme Nzabonimpa, Jean de Dieu Ndagijimana et Marie Rose Fatuma
  • Pressions exercées sur des témoins protégés

Chef 2 - Incitation à commettre un outrage au TPIR et au Mécanisme

  • Anselme Nzabonimpa, Jean de Dieu Ndagijimana et Marie Rose Fatuma
  • En outre ou subsidiairement, il leur est reproché d’avoir incité d’autres personnes à commettre un outrage en exerçant des pressions sur des témoins protégés

Chef 3 - Outrage au TPIR et au Mécanisme

  • Dick Prudence Munyeshuli
  • Avoir sciemment communiqué l’identité de témoins protégés en violant en connaissance de cause des ordonnances judiciaires
  • Avoir eu des contacts indirects interdits avec des témoins protégés, en violant en connaissance de cause des ordonnances judiciaires

ACTE D’ACCUSATION NGIRABATWARE

Le 10 octobre 2019, le Juge Vagn Joensen a confirmé l’Acte d’accusation dressé dans l’affaire Ngirabatware, et l’Accusation en a déposé une version publique le même jour.

Les accusations formulées contre Augustin Ngirabatware dans l’acte d’accusation Ngirabatware séparé visent notamment les crimes suivants :

Chef 1 - Outrage au TPIR et au Mécanisme

  • Augustin Ngirabatware
  • Pressions exercées sur des témoins protégés

Chef 2 - Incitation à commettre un outrage au TPIR et au Mécanisme

  • Augustin Ngirabatware
  • En outre ou subsidiairement, il lui est reproché d’avoir incité un témoin protégé à revenir sur sa déposition
  • En outre ou subsidiairement, il lui est reproché d’avoir incité d’autres personnes à commettre un outrage en exerçant des pressions sur des témoins protégés

Chef 3 - Outrage au TPIR et au Mécanisme

  • Augustin Ngirabatware
  • Avoir sciemment communiqué l’identité de témoins protégés, en violation d’une ordonnance judiciaire
  • Avoir eu des contacts non autorisés avec un témoin protégé, en violation d’une ordonnance judiciaire

INFORMATIONS RELATIVES À L’AFFAIRE

Il est allégué dans les actes d’accusation initiaux dressés contre Anselme Nzabonimpa et consorts et Augustin Ngirabatware que, suite à la confirmation par la Chambre d’appel des déclarations de culpabilité prononcées contre Augustin Ngirabatware pour génocide et pour incitation directe et publique à commettre le génocide, Anselme Nzabonimpa, Jean de Dieu Ndagijimana, Marie Rose Fatuma et Augustin Ngirabatware se sont engagés dans une tentative concertée afin d’obtenir l’acquittement d’Augustin Ngirabatware au stade de la révision en influençant des témoins. Il est également allégué dans les actes d’accusation que, pendant la même période, Dick Prudence Munyeshuli, et Augustin Ngirabatware ont commis un outrage en violant des ordonnances judiciaires concernant des témoins protégés.

Dans le cadre d’une autre procédure, le procès en révision d’Augustin Ngirabatware s’est tenu du 16 au 24 septembre 2019. Augustin Ngirabatware a appelé six témoins à la barre. À l’issue de la présentation des moyens d’Augustin Ngirabatware, la Chambre d’appel du Mécanisme a entendu les arguments oraux des parties pour déterminer si celui ci avait présenté suffisamment d’éléments de preuve dignes de foi pour établir le fait nouveau. Le 24 septembre 2019, la Chambre d’appel a conclu qu’Augustin Ngirabatware n’avait pas présenté de tels éléments et qu’il n’était pas nécessaire d’entendre les moyens en réfutation de l’Accusation.

Dans l’arrêt de révision qu’elle a prononcé le 27 septembre 2019, la Chambre d’appel a rejeté les moyens avancés par Augustin Ngirabatware pour démontrer, au cours de la procédure en révision, que les quatre témoins clés dont les dépositions fondaient les déclarations de culpabilité prononcées contre lui pour incitation directe et publique à commettre le génocide ainsi que pour avoir incité au génocide et pour l’avoir aidé et encouragé étaient sincèrement revenus sur leur témoignage. La Chambre d’appel a dit que l’Arrêt par lequel Augustin Ngirabatware avait été condamné à une peine de 30 ans d’emprisonnement pour ces crimes restait exécutoire à tous égards.